«Heroes» malgré «Lost»
Télé. A partir de ce samedi, TF1 diffuse la nouvelle série aux superpouvoirs et enchaîne dès lundi avec la troisième saison des aventures des naufragés. Par Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts
QUOTIDIEN : samedi 30 juin 2007
CÂ’est lÂ’heure du choix. A côté, celui du 6 mai, cÂ’était de la gnognotte. Kate la fugitive, ou Claire la pom pom girl ? Le Coréen Jin-soo ou le Japonais Hiro ? Accident dÂ’avion, ou explosion nucléaire ? Les «Autres», ou Sylar ? Bref, faut-il garder son vieux Lost, ou enfiler son tout nouveau costume dÂ’ Heroes ? Car, lundi à 22 h 40 sur TF1, les disparus de Lost réapparaissent dans lÂ’état où on les avait laissés lÂ’été dernier, cÂ’est-à -dire dans la panade la plus totale. Tandis que, ce samedi à 20 h 50 toujours sur TF1, démarre la diffusion de Heroes, la série qui a fait sensation cette saison aux Etats-Unis. Au point dÂ’avoir été présentée comme «This YearÂ’s Lost ». Guide comparatif.
LÂ’île ou la ville ?
Des heroes lost et des lost heroes. Outre le terreau commun de parano post-11 Septembre, Lost et Heroes racontent la même histoire de paumés, qui sur une île déserte, qui dans la foule des villes ; qui contraints de devenir des héros pour survivre, qui forcés de vivre encombrés de superpouvoirs. Avec Lost, on connaît la chanson : le vol 815 dÂ’Oceanic Airlines se vautre sur une île qui, ainsi que les survivants le découvrent rapidos, nÂ’est pas tout à fait déserte. Pire que les galeries Lafayette un jour de soldes, on y croise des ours blancs, des revenants, des vierges de plâtre fourrées de cocaïne, des trappes, et, sous les trappes, de mystérieux bunkers. Surtout, on y croise une tribu de furieux, alias «les Autres». Qui, ça va de soi, font vivre un enfer aux rescapés. En ce début de troisième saison, «les Autres» ont poussé le bouchon jusquÂ’à kidnapper Kate, Jack et Sawyer, ci-devant trio héros de Lost.
Mais cÂ’est peanuts à côté du boulot de nos nouveaux Heroes : quand Kate, Jack et Sawyer ne sÂ’emploient quÂ’à sauver leurs miches, Hiro, Pete et Claire, la cheerleader (la pom pom girl), eux, se remuent le popotin pour sauver le monde. De quoi ? Heum, là , cÂ’est le souci. Il est question dÂ’une future explosion atomique que nos héros doivent empêcher. Problème, ils nÂ’entravent que dalle, découvrant leurs missions au rythme du téléspectateur et avec la même perplexité : «Sauve la cheerleader, se voient-ils ordonner, sauve le monde.» Oui, cÂ’est cela ; mais avant, jÂ’ai lÂ’aspi à passer. Il sera tout de même question de modification dÂ’ADN, de virées dans le passé (et le futur), dÂ’un certain Sylar, superméchant zigouillant les supergentils en leur décapsulant le citron.
Pom pom girl, ou fugitive ?
Alors voilà , vous vous réveillez un matin, pas assez dormi, des cernes jusque-là , et dÂ’un coup, en vous concentrant très fort, gniiiiiiiiiiiii, vous vous apercevez que vous pouvez arrêter le temps. Ou que, quand vous vous coupez, vous cicatrisez instantanément. Ou bien que votre reflet dans le miroir est très légèrement démoniaque. Ou que, cui-cui, vous pouvez voler. CÂ’est ce qui arrive aux personnages de Heroes, pas le moins du monde préparés à ça et déjà passablement tourmentés dans leurs vies de pas heroes. Le dompteur de temps est employé de bureau à Tokyo ; lÂ’increvable, une pom pom girl blondasse ; la jumelle au reflet est strip-teaseuse sur Internet, et lÂ’émule dÂ’Icare est un politicien aux dents qui rayent la moquette. Ajoutez à cela un peintre camé jusquÂ’aux yeux dont les Âœuvres prédisent lÂ’avenir et un opportuniste qui absorbe tous les superpouvoirs des autres et vous avez la collec quasi complète de vos nouveaux amis.
Et cette bande de bras cassés doit sauver le monde : bonjour les miquettes. Dans Heroes, comme chez Marvel, les héros sont tourmentés, noirs, malheureux, mère célibataire avec la mafia aux fesses. Seul Hiro (comme Hiroshima) est content comme un canard de son superpouvoir, arrête le temps pour tricher aux cartes et rêve de porter cape et collants. Dommage pour lui, mais une des qualités de nos Heroes cÂ’est quÂ’ils sont dépourvus de costumes. Pas comme certains dont on taira le nom mais qui portent des caleçons moule-bonbons rouges avec une toile dÂ’araignée dessus, hein.
Tout aussi de la lose, échoués comme de vieilles méduses dans une île peuplée dÂ’ours polaires : voici la brochette de Lost. Locke, Jack, Kate, Sawyer, Charlie, Claire, Jin-soo - soit dans lÂ’ordre un ex-paraplégique autocentré, un béni oui-oui perclus de névroses, une criminelle gnangnan en fuite, un faux rebelle irascible, un ex-rocker cocaïnomane, une parturiente neu-neu et un Coréen psychorigide. Tous se dépatouillant tant bien que mal entre leur passé qui leur revient par bourrasques et le mystérieux projet Dharma, qui les utilise comme rats de laboratoire. A ce stade, une observation : si vous nÂ’êtes ni drogué, ni mère célibataire, ni asiatique, la figuration dans une série américaine, forget it.
LÂ’esthétique, ou le cheap ?
Autant crever lÂ’abcès . TF1, certainement dans un louable souci dÂ’éclaircir le sombre Heroes, lui a adjoint un générique chanté par une Victoria Petrosillo (1) et ça fait : «Rendre le monde un peu moins noir/Sans attendre la gloire.» Un peu duraille à supporter, comme si, disons, Herbert Léonard chantait un générique pour 24 Heures chrono (bonne idée : «Jack, tu tortures les méchants/Jack, tu es toujours gagnant.» ). Sûr que ce générique en forme de beuglante fait légèrement tache à côté de lÂ’esthétique sombre, profonde et léchée de Heroes qui emprunte aux comics, jusquÂ’à la police de caractères. En comparaison, Lost est tout plat, éclairé à la lampe de poche, cheap. Normal : la référence, ici, cÂ’est la télé-réalité, Koh-Lanta et surtout sa version originale Survivor, énorme succès aux Etats-Unis. Pourquoi alors pense-t-on irrémédiablement à lÂ’une quand on voit lÂ’autre ? Sûrement à cause des nappes de violons diffusées à lÂ’envers que Heroes a pompées chez Lost, histoire quÂ’à force de se ronger les ongles on finisse en moignons.
Complot, ou complot ?
Cochons dÂ’Américains ! Si Heroes sur NBC a obtenu la meilleure audience des nouvelles séries lancées à la rentrée, elle se retrouve bien loin dans le palmarès des programmes les plus vus cette saison. En 20e position, alors que Lost , quÂ’on disait cuit, est 10e. Au point que, depuis NBC, pas une seule grande télé au monde nÂ’a encore osé diffuser Heroes, cantonné aux thématiques. Le pari est donc risqué pour TF1 : le buzz sur Internet (où la série décroche dÂ’ailleurs le pompon des téléchargements pirates) pourrait lui sauver la mise. Moins accessible, Heroes est pourtant moins frustrante que son aînée insulaire : au bout de deux ans, le fin mot de lÂ’histoire de Lost se fait toujours attendre. Pour Heroes, son fondateur, Tim Kring, a donc décidé quÂ’ «une histoire sera bouclée à la fin de la première saison», déclarait-t-il à Libération en mai dernier. Il nÂ’empêche : pour lÂ’une comme pour lÂ’autre, dÂ’incroyables théories fleurissent sur le Web. Sur Lost, on aura tout lu : les survivants sont en réalité morts et évoluent dans un genre de purgatoire, ils sont régis par des extraterrestres, voire candidats dÂ’une émission de télé-réalité extrême. Pour Heroes , le magazine américain Entertainment Weekly a déjà suggéré la sienne : et si, en fait, les Âsuperpouvoirs des Heroes étaient les résultats dÂ’une expérience menée par le Dharma de Lost afin de concevoir des êtres à même de sauver le monde ? Histoire de mesurer la portée dÂ’une telle révélation, cÂ’est comme si Navarro était le père de Joséphine Ange-Gardien . à‡a fait très peur.
(1) Dont le premier album a été composé par un certain André Manoukian, mais ce doit être un homonyme.