, une critique du nouvel album de Thomas Fersen par Dominique A., ça fait envie...
Trois petits tours (2008)
D’avance, pardon. Pardon à ceux qui attendraient des infos claires et nettes sur le nouveau disque de Thomas Fersen. Du genre « où ça a été fait, avec qui, comment et pourquoi » : je n’en sais rien. Le minimum eût sans doute été de me renseigner auprès du principal intéressé. Disons que la perspective de cuisiner un collègue m’a arrêté. Ramener ma fraise, oui ; cuisiner, non. Vous aurez éventuellement le plaisir de vous en charger vous-même. D’autant que, crois-je savoir, il n’aime pas beaucoup ça hi hi.
Mais ne nous arrêtons pas à ce glorieux préambule. Je me dois en effet d’ajouter que je ne connais pas la discographie de Thomas Fersen sur le bout des doigts. Il m’est arrivé, ne poussons pas tout de même, d’écouter un de ses disques, et d’y prendre du plaisir. Aussi, quand on m’a gentiment proposé d’écouter « Trois petits tours », son petit nouveau, le septième en studio, si j’ai bien compté, j’y ai vu l’occasion de rattraper un peu du temps perdu (c’est une illusion qui a la vie dure, chez nous autres bipèdes). Quant à le commenter, fallait voir.
C’est tout vu. Ce disque est très bon. Très réjouissant. Retenez ça : « Le dernier Fersen est très réjouissant ». « Réjouissant » est un mot qui nous manque, on le voit rarement apparaître dans les journaux. C’est bien dommage. Bon, pourquoi, « réjouissant » ? Pas de panique, j’y viens.
Si l’on s’en tient aux faits, on peut dire au moins trois choses de cet album : premièrement, il y est beaucoup question de valises, deuxièmement, l’ukulélé s’y taille la part du lion, ce qui ne manque pas de sel pour un si petit instrument, et troisièmement, les textes sont souvent écrits en octosyllabes. Ce dernier point, je l’ai tout de suite noté parce que je suis assez féru d’octosyllabes moi-même. Mais revenons au thème de la valise.
Il fait l’objet de la première chanson, « Germaine », prénom dont le narrateur a affublé sa valise. Cette entrée en matière est assez frappante : Thomas Fersen y déroule une mélodie assez aléatoire, sur le mode « je descends et je remonte la gamme », et contre toute attente, l’apparente désinvolture du chant sied à merveille au portrait flatteur que le chanteur fait de son objet fétiche (qui n’en connaîtra pas moins un sort funeste). Quelques chansons plus tard, d’autres valises et malles font leur apparition ; ainsi, dans la bien nommée « Embarque dans ma valise », à la mélodie accrocheuse, dans laquelle le chanteur nous invite, nous ou qui vous voudrez, à voyager dedans (la valise), ou encore dans le onzième et dernier morceau, « La malle », où un voyageur découvre, à la suite d’une substitution involontaire, qu’il est en possession d’une valise qui n’est pas la sienne, mais celle d’une chanteuse de music-hall, et en profite pour se travestir toute la nuit avec les effets de l’artiste. On subodorera qu’il y a du concept là-dessous, et sans doute que non, finalement, pas du tout, tout au plus une forme bien spécifique de fétichisme. On dira surtout que c’est une idée du voyage assez personnelle qui court le long du disque : un voyage vu du dedans (de la valise), éventuellement effectué à l’aide de quelques expédients (pas mal de substances plus ou moins prohibées se baladent dans l’album, au gré des textes), et régulièrement contrarié par le passage en douane, récurrent lui aussi, comme dans la tordante « Chocolat », à l’orchestration de fête foraine absurde (elle me met en joie à chaque fois, et pourtant, dieu sait que je n’aime pas rire…). J’ai souvent entendu dire de Fersen qu’il excellait à dépeindre de petites séquences du quotidien, et qu’il aurait en ce sens largement fait école en France ; j’ai pour ma part la nette impression que ce sont surtout des moments de réalité joliment tordue qu’il met en scène (confère la très lysergique « Concombre »), d’une manière finalement moins française qu’anglo-saxonne. Pour tout dire, l’écriture m’a fait par moments penser aux nouvelles de l’américain Richard Brautigan, et à son empathie pour les personnages très solitaires et très à côté de la plaque. Mais ce que j’en dis, hein…
Chose assez remarquable dans un disque de chanson française, il y a de la musique aussi dans « Trois petits tours ». En compagnie du susdit ukulélé, auquel une charmante mélodie est même consacrée (plage n°2 : « Ukulélé »), c’est à un Fersen somme toute assez métissé que nous avons affaire : des réminiscences de rumba congolaise, voire d’afrojazz éthiopien, de petits glissés de guitare hawaïenne au détour d’un titre, et surtout quelques pulsations franchement jamaïcaines, un peu comme si Bourvil avait fumé la moquette avec Lee Perry, si vous me permettez d’être trivial.
Bon, il y a aussi d’autres choses, du country rock par exemple (« Les mouches»), un fox-trot très plaisamment lymphatique (« Formol »), ou encore une belle embardée pas franchement tropicale (« Punaise »).
Surtout, indépendamment du costume musical revêtu par chaque chanson, des tas de petites enluminures sonores, savamment disposées et assez discrètes de prime abord, viennent régulièrement vous chatouiller l’oreille ; ces petits détails auditifs contribuent amplement au parfum de « revenez y » qui émane de l’album lorsqu’il se finit, incitant les tympans à rempiler fissa dans les valises du monsieur. Voire même à aller faire trois autres petits tours dans sa discographie antérieure. « Punaise, j’étais gonflé à bloc », nous chante-t-il à un moment donné. Compte tenu du résultat, on le croit sans peine.
Dominique A