COW-BOY de Benoît Mariage
Un journaliste qui anime à la télévision une émission de sécurité routière se dit qu'il vaut mieux que « ça » et se lance dans un projet fou : retrouver les protagonistes d'une prise d'otages survenue il y a 25 ans et les emmener dans un voyage « catharsique ». Seulement, les choses ne se passent pas exactement comme prévu...
Troisième film de Benoît Mariage,
Cow-boy ne réédite pas le miracle du premier,
Les convoyeurs attendent (je n'ai pas vu le deuxième), mais n'est pas dénué d'intérêt, loin de là . Disons que la mayonnaise ne prend pas tout à fait et que le film a du mal à décoller. Il y avait pourtant matière à faire un grand film. Il y a d'abord ce héros, loser magnifique (?) qui suscite toute notre sympathie... du moins au début... Mais qui devient de plus en plus pathétique à mesure que le film avance et que son grand projet vire au grand n'importe quoi... Ce loser, Daniel Piron, c'est Benoît Poelvoorde, un Poelvoorde comme je l'aime, humain, désarmant, défait, une espèce de clown triste assez bouleversant
(je sais, Poelvoorde a dit dans Libération qu'il détestait « le cliché du clown triste »...
) - mais il peut être plus grand encore. Il serait peut-être temps que ce type ait vraiment la carrière qu'il mérite (et par seulement par intermittence).
Que manque-t-il au film ? Du souffle, du mordant, de l'audace ? Ce qui est un peu gênant par ailleurs, c'est qu'on a l'impression que le réalisateur se fout un peu de la gueule de certains personnages
(désolée pour le vocabulaire...
) - le preneur de son par exemple. On ne sait pas toujours où se situe le cinéaste. Même par rapport à cette ancienne otage que rencontre Piron (la première qu'il rencontre), une caricature de prolétaire.
Le film déçoit un peu, mais je l'aime bien quand même. J'aime surtout beaucoup Poelvoorde. Gilbert Melki a ici un rôle un peu décevant; dommage. Et on voit à peine Julie Depardieu, au demeurant magnifique (et décidément indispensable).
24 MESURES de Jalil Lespert
24 mesures est le premier long métrage de Jalil Lespert et c'est un film assez noir. Ça commence même assez glauque, avec Helly la prostituée fracassée qui ne rêve que d'une chose : récupérer son gamin.
Scénario bien écrit, original dans sa construction, sans vouloir épater pour autant, mise en scène plutôt maîtrisée (un peu maniérée par moments ?) : le film, sans être totalement abouti, a plus d'une qualité. C'est un film sans concessions, où l'on ne voit guère la lumière. Pas tout à fait le genre de film qui régénère, mais un premier film qui frappe fort.
Beau casting, cela va sans dire : Lubna Azabal, vraiment très bien (comme toujours ?); Benoît Magimel, pas mal du tout; Sami Bouajila
(pour changer...
), qu'on ne voit pas assez (il arrive tardivement dans le récit), mais qui est formidable évidemment.
I'M NOT THERE de Todd Haynes
C'est l'histoire de Bob Dylan, des vies de Bob Dylan, incarnées ici en six (sept ?) personnages distincts et six interprètes, dont Cate Blanchett, hallucinante (c'est d'ailleurs elle qui ressemble le plus à Dylan !). A part ça, c'est impossible à raconter. Un projet dingue, improbable... et l'un des meilleurs films de l'année !
I'm not there est un drôle d'objet conceptuel, mais vivant, un film ambitieux, casse-gueule, mais terriblement séduisant. Un kaléidoscope de sensations, de fantasmes, de visions poétiques, de morceaux de vie, un objet fascinant tout en ruptures, où des scènes « réalistes » (l'histoire de Robbie et Claire -
(le beau) Heath Ledger et Charlotte Gainsbourg, magnifique - est filmée assez classiquement (par rapport à l'ensemble du film) - et sublimement :
ah ! la longue séquence sur I want you...) côtoient des scènes fantasmées, oniriques, parfois stupéfiantes (en noir et blanc essentiellement). C'est formellement d'une invention permanente. Narrativement, visuellement, c'est absolument inouï. Il y a çà et là des petites baisses de régime, certaines séquences laissent un peu perplexe (l'incarnation de Bob Dylan en... Billy the Kid est moyennement convaincante...), mais l'ensemble est assez impressionnant. Todd Haynes a réussi l'impossible. Et je ne parle même pas de la musique de Dylan !
LE CHAOS de Youssef Chahine et Khaled Youssef
Est-on indulgent avec
le film, aux défauts évidents, parce que c'est un film de Chahine
(qui, malade
, a dû se faire assister de Khaled Youssef) ? Si le film avait été d'un autre, n'aurait-on pas vu plus les défauts que les qualités ? Formellement, rien de particulièrement remarquable ici
(ça change de l'invention permanente du film de Todd Haynes...). Le scénario manque parfois de finesse. Le « message » est un peu trop asséné : dénonciation de la corruption, de la répression, des arrestations arbitraires, des tortures, des atteintes aux libertés individuelles... - le film est très virulent. Les caractères sont un peu trop tranchés : il y a les bons d'un côté, dont un gentil procureur; les mauvais de l'autre, dont un méchant d'opérette, un policier corrompu, malfaisant et pitoyable. Mais les défauts évidents du film sont balayés (ou presque) par un récit qui, après un démarrage un peu mou, nous emporte. Chahine dénonce, mais pas seulement :
Le Chaos est aussi une histoire d'amour (d'abord contrariée), avec ses envolées un peu naïves (et ses tourtereaux jolis comme tout), et un mélodrame. La fin est assez bouleversante (notamment cette foule en colère qui se soulève et afflue vers le commissariat de police...). Le jeune Mena Shalaby est magnifique - et belle...
En bonus, quelques secondes de Youssef Chahine à Cannes il y a dix ans
et aussi l'affiche d'Un jour, le Nil signée par Chahine...
STELLET LICHT (LUMIÈRE SILENCIEUSE) de Carlos Reygadas
C'est l'histoire d'une famille mennonite qui vit au Mexique. Johan est marié à Esther. Son « drame » ? Il en aime une autre...
Alors oui, au début, il faut s'accrocher...

C'est très beau, très lent, contemplatif, rigoriste, peu bavard
(on attend bien un quart d'heure pour entendre le premier mot (« amen ») ?), le film met notre patience à l'épreuve, on se dit qu'on ne va pas tenir
(ça dure tout de même 2 heures 16...). Mais notre patience finit par être récompensée.
Le film est toujours aussi rigoriste, aride, mais finit par bouleverser. La fin est vraiment de toute beauté et sidère littéralement. Mais si Dreyer ne l'avait pas filmé avant Reygadas, aurait-on « accepté » cet impossible dénouement, cet impossible miracle ? Mais un film a-t-il forcément besoin d'être cartésien pour nous parler ?