)Par Victor Hache
Fred, Louis, Loïc Lantoine, Elista, Bertrand Louis, Gérald Genty, Albin de la Simone, Tom Poisson... gros plan sur les nouveaux chanteurs.
Qui a dit que la chanson française n'avait plus rien à dire ? Carla Bruni, Bénabar, Mickey 3D, Sanseverino, Corneille, Calogero... ils ont tous brillé aux dernières victoires de la musique, volant la vedette à leurs aînés (Renaud, Alain Chanfort, Laurent Voulzy, Juliette Gréco...). Il y a là un signe des temps, avec, pour une fois, une grande chaîne de télévision qui donnait à voir et à entendre les nouveaux talents de la chanson.
Derrière ces quelques figures médiatiques, combien d'autres attendent de se faire un nom ? Les artistes de la scène des musiques actuelles sont légion. Il suffit d'aller sur le terrain, dans les petites salles des réseaux indépendants ou dans les festivals, pour s'en apercevoir. Après Arthur H, Thomas Fersen - des anciens ! -, Keren Ann, M, Yann Tiersen, Benjamin Biolay ou Vincent Delerm, une nouvelle génération de chanteurs et de chanteuses est en train de monter. à€ l'image d'à‰milie Simon, Jeanne Cherhal, Zora, la Grande Sophie... Tété, Cali ou Ridan. Des artistes que l'on risque d'entendre de plus en plus dans les radios et qui forment déjà la jeune garde de demain. Ils ne demandent qu'à être découverts. En disque ou sur scène. Disposant d'une audience encore confidentielle, voici ceux qui devraient faire parler d'eux.
Les chaudes sonorités
Fred s'est fait remarquer avec la sortie de Sauter du nid, premier album d'un chanteur éminemment secret. Comme s'il redoutait de trop dévoiler son univers. La chanson ? à‡a s'est fait par hasard, telle une évidence, après une adolescence passée à apprendre la guitare. Voix claire, léger phrasé à la Gérald de Palmas, Fred aime les chaudes sonorités (bossa, reggae, hip-hop), le rock et les ballades du blues. Solitaire, marginal par tempérament, il a des choses à dire, De c' côté du monde. Sur fond d'ambiances voyageuses, cet urbain, originaire de Maurepas, a des envies de fuir vers d'autres horizons (Je file, je trace). Fred, c'est sûr, ira loin.
Louis vient lui aussi de livrer un premier album exhalant une pop légère. En dandy romantique, séduit par les lumières de la nuit (Dancing), il fait part de ses sentiments en demi-teinte à travers un répertoire très doux dans lequel il parle des femmes peuplant son imaginaire (Romy, Leylie Brown). L'ex-voix du groupe underground Ika a écouté aussi bien Gainsbourg que Léonard Cohen ou à‰tienne Daho. Résultat, une pop caressante, presque fragile, reflet d'un auteur (trop ?) discret, qui devrait toutefois rapidement sortir de l'ombre.
Loïc Lantoine
, trente ans, fait dans " la chanson pas chantée ". Un truc bizarre contenu dans Badaboum, un album produit sur le label Mon slip (ça ne s'invente pas !) des Têtes raides. Lantoine est là au chant racontant de drôles d'histoires, pendant que Boris Bourdet (:surlecul: euh non c'est François Pierron 
) , à la contrebasse, donne dans un tempo brut, presque tribal, qui n'est pas sans rappeler le débit hip-hop des Fabulous Trobadors. S'il était interprété en anglais, ce premier enregistrement pourrait laisser croire à Tom Waits, dans ses moments les plus délirants. Il y a de tout dans cet opus, bal musette (accordéon de Jean Corti de La Rue Ketanou), poésie populaire balancée à l'arrachée, façon Allain Leprest : " C'est du sang, c'est pas de l'eau ", dit Loïc Lantoine, sur les musiques rappeuses de François Pierron. Ici, on n'a pas peur des mots (" J'ai l'amour ah merde ", Mauvais Ouvrier). Badaboum est un objet sonore non identifié. à€ écouter absolument pour savoir ce que musique non formatée veut dire. Un air naïf
Albin de la Simone tient son nom de lointains ancêtres qui vivaient près de la rivière la Simone, dans l'Aisne. Réalisé par Renaud Létang, directeur artistique, son premier album éponyme est à classer dans la famille des " M " et Mathieu Boogaerts. Venu du jazz, il a travaillé comme pianiste ou arrangeur d'artistes aussi différents qu'Arthur H, Jean-Louis Aubert, Alain Chanfort ou Angélique Kidjo. Autant dire qu'Albin de la Simone n'est pas un inconnu dans le monde de la musique qu'il rêve singulière et pudique. à€ son image. Faussement naïf, on dira de lui qu'il est décalé parce qu'il faut bien coller des étiquettes. La Simone, c'est une légèreté de tous les instants. Un registre intimiste inclassable et pleinement poétique, où l'on fait plus que se sentir bien. Comme le prouve le tubesque Avant tout, I Want You.
" Pour l'instant, je ne suis pas encore trop connu, ça va, mais après je ne sais pas ", chante le drolatique Gérald Genty(
). à€ vingt-neuf ans, il vient de sortir un excellent premier album en Humble Héros d'une musique bricolée dans sans " cellule universitaire de 9 mètres carrés " (Détention universitaire). Adolescent, il se destinait à une carrière de sportif, il rêva aussi d'être artiste peintre. C'est vers la musique qu'il s'est finalement tournée. Genty adore les chansons " quiproquos " inspirées du quotidien (" J'ai mis mon maillot de Ben pour aller allo "), de celles qui swinguent bossa ou funky. Un répertoire tordu et minimaliste qu'il interprète à la guitare acoustique sur scène, entouré de faux musiciens (représentés par des masques sur une tige de fer flanquée de deux ampoules de couleur à la place des yeux) ou sur un piano électrique sur lequel est écrit en gros le nom de " Christian Clavier ". Sympathique, Gérald Genty aime aller au contact d'un public avec lequel il s'amuse (échange de balles de tennis) sans se prendre au sérieux. On rit grâce à cet Hubert Là¼rl༠bourré d'humour. Trente ans, Tom Poisson
- un pseudo à coucher dehors ! - est un tendre qui possède l'art des mélodies bien troussées. Il y a de la nostalgie chez cet artisan d'une chanson trahissant un goût pour les souvenirs d'enfance (à‰lisabeth Martin, la Prière du poulbot). Qu'il chante les voyages, la cour de récré ou les filles, les textes de Tom Poisson sont des petits bijoux d'écriture lucide, jamais méchants. Ex-chanteur de la formation Arnouph, il a fait ses classes dans tous les petits lieux de Paris ou de province, se produisant au gré de ses humeurs vagabondes. Son petit monde poétique séduit déjà au-delà du cercle des premiers fans. à€ suivre. Avec sa belle voix grave et ses yeux un peu tristes, Bertrand Louis fait penser à un Serge Reggiani d'aujourd'hui. Apparu il y a presque trois ans, avec un premier album dans lequel il racontait son passage à l'âge adulte (à€ trente ans), Bertrand Louis est de la race des chanteurs classiques. Avec 2, son nouvel enregistrement, il s'est modernisé en s'ouvrant aux ambiances électro, se rapprochant de Daho (Dans ma chambre géométrique). On l'a vu récemment en première partie du concert de Juliette Gréco, à l'Olympia. Amoureux des mots, Bertrand Louis dit les choses avec profondeur et élégance. Cela devrait faire de lui un futur grand de la chanson.
Martin Rappeneau propose, pour sa part, un parcours sentimental, des à‰clats amoureux d'un fragment de vie en treize chansons. D'une voix claire revendiquant des influences venues de Michel Berger ou de William Sheller, il livre ses prières (Au nom du ciel) au fil d'histoires où amours riment avec passion ou rupture. Fils du réalisateur Jean-Paul Rappeneau, on lui doit les mots de la chanson du film Bon voyage ! composé par Gabriel Yared et interprétée par Isabelle Adjani. Pianiste, avec la Moitié des choses (son premier enregistrement), Martin Rappeneau joue d'un répertoire romantique aux accents funky, façon Sinclair, avec lequel il a travaillé pour la BO du film de Guillaume Canet, Mon idole. L'ensemble est agréable grâce à d'habiles mélodies qui plairont sûrement aux radios FM. à€ découvrir sur scène pour se faire une réelle idée.
Une bombe rock
Cerise sur le gâteau, Elista. Un groupe à mettre entre toutes les oreilles. Au menu, un rock à la Mickey 3D, entre conscience de société à revoir et espoirs de lendemains qui chantent. Elista, c'est cinq musiciens originaires de Melun, en Seine-et-Marne, qui se sont frottés au spleen d'une jeunesse en manque de devenir. La musique est leur thérapie. Il aura suffi de quelques guitares, d'une batterie, de claviers et d'ordinateurs pour donner naissance à une bombe rock. Un registre qui dit l'ennui et la mélancolie, sur fond de textes existentiels : " Nous voilà bien mal barrés / (...) en attendant la mort, on considère l'amour. " Ils viennent de faire un carton à la Maroquinerie, à Paris, et ils sont actuellement en tournée un peu partout. Il faut entendre Elista. De toute urgence.
Fred : le 16 mars, à Vanves, dans le cadre des Chorus des Hauts-de-Seine, le 19, à Tours, le 20, à Orléans, le 13 et le 14 avril, au Café de la danse.
Bertrand Louis : le 16 mars, à Colombe, en première partie d'à‰tienne Daho, dans le cadre des Chorus des Hauts-de-Seine.
Loïc Lantoine : du 15 au 18 mars, à l'Européen, Paris.
Gérald Genty : le 13 mars, à à‰tampes, le 20, à Belfort, le 26 et le 27, à Salbris...
Martin Rappeneau : 17, 18, 19, 20 mars, à la Boule noire, Paris.
Elista en tournée : Angers (12 mars), Grenoble (17 mars), Marseille (18 mars).
Article paru dans l'édition du 12 mars 2004
Le lien : http://www.humanite.presse.fr/journal/2 ... -12-389879
