J'aimerais, mon cher Num, t'exprimer pourquoi j'aime le beaujolais nouveau. Pourquoi j'aime le boire dès son arrivée avec des amis et de la charcuterie (notez le zeugma). Pourquoi ce vin sans prétention invite à la convivialité et à la joie en plein mois de Novembre. J'aimerais, mais je ne peux pas le faire après René Fallet qui l'a fait bien mieux que moi, dans un roman qui m'a donné mon pseudo.
René Fallet, dans son fabuleux roman "Le beaujolais nouveau est arrivé", qui devrait être lu dans toutes les classes de lycée à la place de la lettre de Guy Môquet a écrit :Et le beaujolais nouveau arriva.
Et du Nord au Midi, comme tous ces jeudi de novembre, un printemps dÂ’affichettes bleu ciel, rouges, orange, vertes, fleurit aux vitrines des débits de boissons pour annoncer aux passants mornes que le petit Jésus des vins était né.
Et les passants mornes sÂ’éclairaient à la vue de ces papillons, et une goutte de rubis tombait sur leur vie grise, leur demeurait à la lèvre en confetti de sangÂ…
LE BEAUJOLAIS NOUVEAU EST ARRIVà‰ ! ! ! Ce te Deum éclatait sur Paris, sur toutes les grandes villes, roulait dans leurs artères, chantait Montmartre et Contrescarpe, défilait dans la rue Saint-Denis, tintait louis dÂ’or sur tous les zincs où se pressait le peuple pour voir et toucher le divin enfant de lÂ’année.
La fête accrochait ses lampions à tous les nez, ses limonaires dans toutes les têtes, et quand la mauvaise heure était sonnée de rentrer chez soi cÂ’était, du moins, à dos de chevaux de bois. La fête ! CÂ’en était une, païenne, chrétienne, tout ce quÂ’on voudra, et tout le tremblement, et tous les tremblements dans toutes les lumières.
Le Beaujolais nouveau est arrivé, la fête est revenue pour quelques jours, fête tuée par lÂ’armée des pisse-vinaigre mais ressussitée en cachette par les chante-la-joie increvables comme elle.
On les avait assassinés, les fêtes de faubourg et les bals de quartier, relégués au rayon souvenirs, avant-guerre, belle époque et cÂ’était le bon temps. Mais il avait suffi de la fraîcheur dÂ’un petit vin familier rigolo populo pour quÂ’un 14 juillet tout neuf, improvisé, guilleret, remonte du pavé, à cheval sur des accordéons, frémissant de tous ses grelots.
Ce saint vivant, ignoré des calendriers officiels, était plus célébré, honoré que ceux, desséchés, fossiles, qui y figuraient dans lÂ’indifférence générale. Saint Beaujolais Nouveau, Saint de Paix, éclipsait Saint de Paix, éclipsait Saint Albert, peu après lÂ’ « Armistice 1918 ». On le priait, mais seulement de se montrer aussi gouleyant, ou davantage, que celui de lÂ’année dernière, on ne lui demandait que dÂ’exister, de passer, une fleur au bec, ou un refrain, et surtout de revenir lÂ’année prochaineÂ…
Le Beaujolais nouveau est arrivé ! Coquinet de la cuisse, un poil canaille, sans soutien-gorge, il était arrivé dans les arrières-gorges, un rien pute, léger et court vêtu, un brin muguet, un brin de fille, un doigt de Dieu, un doigt de cour. Il coulait source dans les hommes, il ne repartirait quÂ’en leur laissant au cÂœur le plus clair de la vie, la vertu dÂ’un sourire.
Il voyageait aussi, ce doux cul-terreux de la Saône, ce joli voyou de la Guillotière, que les anciens paraient du nom superbe et royal de « Fils de lÂ’amour ». Il prenait lÂ’avion, ce fils de la terre, et sÂ’en allait à lÂ’autre bout, fils du soleil, porter la bonne parole, la bonne aventure aux quatre coins, chez les Anglais, les Canadiens et les Américains. New Beaujolais is here ! En Allemagne et en Belgique, ce fafadet soufflait la mousse de la bière, le temps dÂ’une embellie. En Suisse, son voisin et son premier client, il prenait lÂ’accent de Lausanne pour crier « coucou ! » dans le fond des bouteilles.
« Me voilà je suis arrivé » commençait-il partout. Et puis il pérorait avec les mains, bousculait lÂ’éventail politique, perdait le fil, le retrouvait, touchait une paire de fesse par ci, une paire de seins par-là , tendrement dingue, si gentiment zinzin quÂ’on lui pardonnait tout ainsi quÂ’à un enfant gâté.
Il gagnait aux courses, allumait des quinquets dans les yeux, sautait par dessus les comptoirs, remettait sa tournée, se renversait, cassait du verre blanc qui portait bonheur, réconciliait deux types fâchés, faisait se rencontrer deux étrangers, lalançait une fille dans les bras dÂ’un garçon, levait tous les bras en salut olympique à la santé du patron, à celle de la vie et à la tienne Etienne !
Puis il jouait aux dés, aux cartes, au con et à nÂ’importe quoi. Puis il regardait la pendule, la voyait double et filait sous la pluie dÂ’automne et celle de lÂ’hiver en se croyant général, en se croyant été, en se croyant vacances. Puis il se couchait dans un lit changé en lit de sable, en lit de fleuve, en lits-gigognes pour y caresser des peaux douces plus douces que les vraies. Il était arrivé !
Le Beaujolais nouveau est arrivé ! Le bourdon de Notre-Dame le carillonnait pour le Sacré-CÂœur, les dix-huit tonnes de la Savoyarde le répétaient à tous les clochers de la ville. On perçait des tonneaux en une émouvante défloration. Quel goût aurait-IL ? Serait-IL fruité ? Souple ? NÂ’aurait-IL pas perdu son grain ? Après le dépucelage venait la première communion entre LUI et son copain lÂ’homme.
Au vu des affichettes sacrées, les chauffeurs de taxi freinaient à mort, désenchevêtraient leurs clients emmêlés, les entraînaient sÂ’en jeter un, abandonnant leurs véhicules au hasard de la chaussée. Les militaires rompaient les rangs, les employés de bureau sautaient par dessus les bureaux, les métallos brisaient leur chaîne, les infirmiers lâchaient leurs brancards, les malades hurlaient quÂ’lls EN voulaient un verre, les morts boudaient leurs chrysanthèmes, réclamaient de quoi se rincer la dalle, fut-elle en marbre, les députés quittaient la Chambre en volée de moineaux, les flics jaillissaient des cars de police, les prisonniers sÂ’évadaient, suivis de leurs gardiens assoiffés et braillant : « Le Beaujolais nouveau est arrivé ! »
Les manifestations se dispersaient, dÂ’autres se reformaient, oscillantes derrière dÂ’immenses banderoles proclamant quÂ’IL était arrivé. Des amants tout nus sÂ’engouffraient dans le premier bistrot pour sÂ’y parer dÂ’une feuille de cette vigne. Au conseil des ministres on entonnait des litres et lÂ’Internationale
Des vaches venaient boire aux abreuvoirs magiques, certaines de fort loin. Des morpions enthousiastes plantaient là leur slip natal, accouraient se noyer aux cannelles, cherchant une mort enfin glorieuse. Des bonnes sÂœurs, retroussées jusquÂ’au nombril et le cul au zéphirs, pétées à zéro, dansaient la gigue au sortir du Tabac du Vert-Galant, un des hauts lieux du Messie flambant neuf. « Hosanna ! beuglaient les saintes femmes, le Beaujolais nouveau est arrivé ! ».