LE POINT SUR ROBERT
Et de trois...
Alors... Que dire ? Changement de théâtre pour commencer :
le Théâtre de la Renaissance après le Théâtre de la Gaîté Montparnasse. Très beau théâtre... mais je plains ceux qui sont au troisième balcon... Le Théâtre de la Gaîté Montparnasse, plus petit, plus intimiste, était sans doute plus adapté à ce genre de spectacle... Quand on est au premier rang, ça ne change peut-être pas grand-chose... mais c'est un peu différent quand même.
Alors, le spectacle... La base est toujours la même (Valéry, Barthes,
Perceval le Gallois pour l'essentiel - je sais, je me répète

)... mais ce n'est jamais la même chose. Au rang des changements notables : de Flaubert, Fabrice Luchini ne lit plus - du moins, n'a pas lu ce soir-là - le début d'
Un cœur simple, mais
Salammbô.

Mince, j'aimais bien
Un cœur simple... Un peu de Rimbaud cette fois encore
(Roman : « On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. »...). Et pour finir une petite fable de la Fontaine
(Le Rat et l'Eléphant : « Se croire un personnage est fort commun en France. / On y fait l'homme d'importance, / Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois : / C'est proprement le mal François. »...). Sinon, on a eu un tout petit peu de Molière et un tout petit peu de Céline.
Sans oublier une petite phrase de Jean Genet (extraite de Notre-Dame-des-Fleurs) que la décence m'empêche d'écrire ici
(et que Luchini prend un malin plaisir à nous faire répéter
). Et puis aussi, un peu de Johnny
(c'est-à-dire : Luchini qui imite Johnny; enfin quand je dis un peu, c'est bien une dizaine de fois pendant le spectacle : ça arrive comme un cheveu sur la soupe...
) et un peu de... Georges Chelon
(et ne me demandez pas comment Luchini arrive à le caser, je n'en sais rien !). Alors, Paul Valéry est redevenu un peu austère la troisième fois. Ou c'est juste la hâte d'en arriver au « cœur » du spectacle (Barthes et
Perceval) ? Parce que quand même, Fabrice Luchini qui danse sur du Chrétien de Troyes, je vous le recommande ! Il le chante aussi
(enfin, pas du Chrétien de Troyes « original », mais une traduction - parce que l'original, ça ressemble à ça)... Fabrice Luchini qui danse sur...
Stayin' Alive, ce n'est pas rien non plus !!!

J'ai l'impression qu'il se lâche un peu plus chaque fois... Par moments, on hallucine...

Oui, il en fait des tonnes, et alors ? Mais c'est ça qui est bien aussi chez lui : sa générosité d'acteur, la façon qu'il a de ne rien se refuser. Et puis, il sait aussi être sobre (ne serait-ce que sur Flaubert et Rimbaud, ou Valéry). Si, si, je vous jure.
Le Point sur Robert, c'est aussi un spectacle « sérieux » et exigeant.
Ah oui, Luchini accueille toujours les retardataires : « Je ne laisserai personne au bord du chemin »...

Et plusieurs fois, il scande le cri de guerre syndical : « Tous ensemble ! Tous ensemble ! ». Il se lâche, je vous dis...
Cette fois encore, personne n'avait envie que ça se termine. Le bonheur de Luchini était beau à voir
(le nôtre aussi, j'imagine - pour lui...). A la fin, il nous a même applaudis...

La classe... Il faut dire qu'on a été très bons...
C'est bien simple : c'est tellement bon qu'on sort de là avec un de ces cafards (que ce soit déjà fini)...

Et une fois rentré(e) chez soi, le cafard est toujours là . Aaaaaah !...
Dimanche, direction le Théâtre du Rond-Point pour d'autres aventures...
BATAILLES de Roland Topor et Jean-Michel Ribes - Mise en scène de Jean-Michel Ribes
Après Pierre Arditi et François Berléand dans
Faisons un rêve, Pierre Arditi et François Berléand dans
Batailles... Légère déception, légère frustration devant un spectacle qui est loin d'être parfait, qui a ses petites faiblesses - mais qui a aussi beaucoup de qualités. D'abord, le spectacle est inégal. Le spectacle est composé de cinq courtes pièces en un acte (deux signées Ribes, deux signées Topor, une signée Ribes et Topor) mises bout à bout. Cinq pièces qui ne sont pas toutes d'un égal intérêt. Disons que les deux « monologues » de Tonie Marshall (
Ultime bataille de Ribes et
Bataille intime de Topor), surtout, ne suscitent pas un enthousiasme débordant. Mais peut-être est-ce moins la faute du texte en lui-même (des textes) que celle de Tonie Marshall, qui, tout de même, n'a pas sur scène un charisme exceptionnel
(Tonie Marshall qui avait joué le spectacle à sa création il y a 25 ans, soit dit en passant). N'est-elle pas tout simplement trop « sage » ? Ne lui manque-t-il pas le grain de folie nécessaire pour restituer toute l'étrangeté grinçante et surréaliste des textes de Ribes et Topor ? Mais si on s'enthousiasme moyennement, c'est peut-être juste qu'on est pressés de retrouver « les autres » - Arditi et Berléand; surtout Arditi ? Leurs affrontements sont en effet ce qu'il y a ici de plus savoureux. Dans
Bataille navale (de Ribes), deux hommes « jouent » la lutte des classes sur un radeau après un naufrage. Blandaimé occupe la partie la plus « noble », la plus « confortable » du radeau (eu égard à sa condition sociale ?), tandis que Plantin, le modeste barman (le prolétaire !), occupe la partie la plus misérable, la plus fragile, le « palier ». Les deux naufragés vont jeter une bouteille à la mer. Mais Blandaimé, qui parle « si bien », écrit des messages plus ampoulés les uns que les autres qui désespèrent Plantin... Dans
Bataille au sommet (de Topor), un homme qui a entrepris l'ascension du mont Paterhorn rencontre un homme étrange qui lui apprend une drôle de nouvelle... Dans
Bataille dans les Yvelines (de Ribes et Topor), un homme reçoit la visite d'un ami qui revient d'Afrique et qui vient... lui rendre sa femme, partie avec lui 10 ans plus tôt. Mais l'autre n'en veut plus ! - et on le comprend : c'est qu'elle est un peu... spéciale. C'est caustique, souvent drôle, absurde, parfois vachard et non dénué de profondeur derrière une certaine désinvolture (la profondeur manque parfois quand même à force d'absurdité ?). Blandaimé, dans
Bataille navale, écrase Plantin de sa supériorité... mais il a besoin de lui : sur le fragile radeau, Plantin fait contrepoids !
Arditi est royal

(la classe, quoi...) et s'en donne une fois de plus à cœur joie. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne s'économise pas ! Tandis que Berléand... a bien du mérite, car il n'est jamais - mais alors jamais - à son avantage
(rien que ses tenues... ). Il est très bien malgré tout, mais on aimerait le voir un peu plus... mis en valeur, disons.
Dans l'ensemble, c'est tout de même formidable et plaisant; parfois plus que ça... Mais on n'en sort pas forcément comblés. Contents, oui, mais pas comblés. Au moins, et c'est l'avantage, on évite le cafard post « luchinien »...
Il y en a qui en parlent beaucoup mieux que moi...
Dans [url=http://www.telerama.fr/critiques/critique.php?id=25854][i]Télérama[/i][/url], Fabienne Pascaud a écrit :Ça se passe à la mer, à la montagne, à la campagne et sur un balcon. D'abord, ça a l'air de pas grand-chose. Juste de truculentes petites saynètes de genre, presque du café-théâtre : deux naufragés sur une épave en perdition (
Bataille navale, de Jean-Michel Ribes), deux alpinistes au moment de la pause (
Bataille au sommet, de Roland Topor), deux vieux amis qui se retrouvent (
Bataille dans les Yvelines, de Ribes et Topor), une femme en train de rompre avec son amant (
Ultime Bataille, de Ribes, et
Bataille intime, de Topor). Et voilà que de phrase en phrase (bêtes et méchantes, les phrases), de minute en minute (silencieuses ou bavardes), peu à peu tout décolle. De la violence ordinaire, des classiques rapports de force sociaux, amicaux, conjugaux, on est passé comme en un songe à une hystérie visionnaire, à un absurde tout métaphysique. Dans les extravagants et colorés décors imaginés par le maître Jean-Marc Stehlé - à la fois fous et naïfs, totalement oniriques et simples comme des dessins d'enfant -, des êtres en rupture sautent le pas, s'affranchissent de la norme, glissent dans l'insoupçonnable. A quatre mains, Roland Topor et Jean-Michel Ribes sculptent de mots simples, apparemment innocents, anodins, nos plus indicibles vertiges. Comment on fait face à la souffrance - la sienne, celle de l'autre -, comment on réagit face à la mort - la sienne, celle de l'autre -, comment on tue ou se tue. Autant de situations incandescentes, atroces, que les compères atteignent, explorent et affrontent par la seule audace de leur imaginaire. Ils ne s'interdisent rien. Ni les clichés du théâtre de boulevard ni ceux de la tragédie : ils s'amusent juste à les dépasser, à rêver au-delà , à pousser plus loin encore leurs délires et fantasmes.
Car il y en a dans cette sarabande infernale de créateurs machos à vif, terrorisés par les femmes mais ne pouvant s'en passer, grands enfants toujours en quête d'amour maternel, cultivant de potaches et viriles amitiés pour mieux se défendre et s'oublier. De l'amitié, de l'admiration, de la complicité, les deux vilains ogres Topor et Ribes en débordaient. La mort du premier les a séparés en 1997 ;
Batailles, créé à l'Athénée en 1983, repris vingt-cinq ans plus tard avec la même force dynamite (et toujours l'irrésistible Tonie Marshall dans le rôle de l'héroïne repoussoir), témoigne d'une étonnante conformité d'être, d'écrire et de penser. Une même manière de penser que le rire est la meilleure arme pour apaiser nos incendies intérieurs, les expulser, les sublimer dans un vacarme jubilatoire. Car ces deux-là raffolent des incendies, estiment visiblement que les grands feux peuvent aussi apprendre à éclairer la vie, à l'illuminer.
Il faut paradoxalement un sacré naturel, une réelle simplicité pour porter en scène pareille déflagration, être plus que sincère pour porter sans les trahir et sans en rajouter ces répliques excentriques. Les virtuoses François Berléand, Tonie Marshall, Pierre Arditi ont toutes ces qualités, royalement mis en crise par Ribes.
Si le trio est constamment épatant, d'une saisissante banalité dans la dinguerie sauvage, soyons partiale et adressons un coup de chapeau à Pierre Arditi. Il excelle ici comme jamais dans les ringards, les piteux, les minables, qu'il soit en smoking ou en chemise rose bonbon, aristocrate ou chercheur misérable, mort ou vif. Mais flambard toujours, mais flambeur, mais magnifique comme peu sur nos scènes savent encore l'être. Théâtral. Et c'est un compliment.
Quelques photos trouvées ici... © Marc Chaumeil
Et là , une petite photo personnelle...
