Nicolas Dufour dans [url=http://www.letemps.ch/Page/Uuid/70ccab20-1efd-11de-ac66-d3c681346350|0]Le Temps[/url] a écrit :«Urgences» applique ses derniers secours
Ce jeudi 2 avril, la série médicale «Urgences» tire sa révérence sur le réseau NBC, aux Etats-Unis. Bilan d’une fiction qui aura marqué l’histoire du genre. Pour l’écrivain et médecin Martin Winkler, elle aura «changé radicalement la manière dont on regarde une série... et la médecine»
Les héros d’Urgences vont pouvoir se reposer. Dans le premier épisode, il y a quinze ans, le docteur Greene tentait de s’allonger un moment. Un répit, dans l’obscurité. Toujours brisé par l’irruption, violente, de la lumière, une fois la porte ouverte par l’infirmière cheffe, qui lui annonçait les dernières arrivées.
Ce jeudi aux Etats-Unis, le réseau NBC célèbre le final d’ Urgences ( E.R. ). Le terme d’une épopée en blouses blanches de quinze saisons et 331 épisodes. Le feuilleton aura offert un dernier suspense à ses fans, autour du retour de ses premières gloires, à commencer par George Clooney. Lequel apparaît bien dans quelques ultimes chapitres. Créée par le romancier et cinéaste Michael Crichton, ancien médecin, décédé le 4 novembre dernier, Urgences aura surtout bouleversé le paysage de la fiction télévisuelle. Diagnostic final.
…ou EVS, l’estimation de la douleur par le patient. Selon Martin Winkler, médecin, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages sur les séries TV, le bilan est clair: «Urgences a radicalement changé la manière dont on regarde les séries… et dont on perçoit la médecine.»
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En septembre 1994, E.R. démarre en même temps que Friends , une année après X-Files . A elles trois, chacune dans leur genre, ces fictions inaugurent un âge d’or qui dure encore. Urgences assume la mission la plus sérieuse, donner une respectabilité à un genre encore dévoyé en Europe. Martin Winkler se souvient: «A la sortie de mon roman La Maladie de Sachs , en 1998, j’ai parlé d’ Urgences . Depuis, je n’ai plus fait une séance de signatures sans que des gens me remercient. Ils disaient que l’on se moquait d’eux s’ils avouaient la regarder… Urgences a toujours parlé de manière intelligente à son public, prouvant qu’une série peut être débattue.»
Le degré de conscience du patient. Lucide, Urgences l’a été de bout en bout, malgré certains moments spectaculaires qui ont fait ricaner ses détracteurs. Sida, fracture sociale et précarisation, maux de la planète, guerre en Irak: les soigneurs de Chicago ont vu défiler la misère du monde. «Le service des urgences forme un microcosme dramatique, propice aux choix éthiques, aux conflits, aux annonces difficiles», résume le médecin romancier.
Des urgentistes ont raconté comment le feuilleton a modifié le comportement de leurs patients, soudain moins nerveux, car sensibilisés à la condition des médecins. « Urgences restera comme la série médicale la plus réaliste, et la plus influente, qui soit. Elle a montré le médecin en homme comme un autre, ce qui est moins sécurisant, mais qui rappelle au public que s’il veut améliorer le système de soins, il doit d’abord perdre quelques illusions», ajoute Martin Winkler.
Ou l’accélération du rythme cardiaque. Ce qu’a produit Urgences – comme X-Files, au reste –, si la fiction TV constituait un organisme en soi.
Le choix de filmer sans cesse autour des protagonistes en pleine action, très souvent à la caméra mobile stabilisée, en suivant longuement les acteurs dans leurs mouvements et leurs dialogues techniques, a imposé une marque durable dans le langage TV. John Wells, devenu maître de E.R. , a d’ailleurs porté le procédé dans A la Maison-Blanche , autre chef-d’œuvre d’ exploration d’un milieu particulier, dont il a été producteur.
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L’ACR, pas toujours fatal. Là, le service ferme ses portes, mais il laisse une œuvre à l’influence considérable. S’agissant de fiction médicale, les successeurs ne manquent pas, de Grey’s Anatomy à House. Le sérieux d’Urgences, même dans l’humour noir, et la méticulosité des auteurs restent néanmoins inégalés. Et Martin Winkler en est convaincu, «la série pourrait continuer indéfiniment, d’autant que le service des urgences prend toujours plus d’importance. Voyez en France, les gens y viennent par désespoir, parce qu’ils ont été rejetés par certains praticiens».
Le feuilleton s’efface alors que les systèmes de santé craquent de toutes parts, et que dans son pays, le nouveau président empoigne la question fiévreuse de l’assurance maladie: les héros d’Urgences ne manquent pas d’ironie. Mais ils ont mérité leur sieste, dans l’obscurité. Cette fois, la porte ne s’ouvrira plus.