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Norbert Creutz a écrit :Quand l’imaginaire s’emballe au lycée

«Simon Werner a disparu...» de Fabrice Gobert joue sur l’hypothèse d’un cinéma ado ni cynique ni imbécile. Une réussite plutôt rare

Chaque année à Cannes, une poignée de films sur l’adolescence rappellent l’intérêt crucial de cet âge de la vie trop facilement délaissé au profit du cinéma le plus commercial. C’est pourtant un moment de la vie passionnant à saisir et un terrain d’essai idéal pour les jeunes cinéastes. Parmi la cuvée 2010, Simon Werner a disparu… premier film du Français Fabrice Gobert a fait particulièrement bonne impression dans la section Un certain regard. En s’inspirant de modèles américains tout autant que de souvenirs de jeunesse personnels dans les années 1990.

Cela commence comme n’importe quel «slasher» horrifique, avec une jolie jeune fille qui marche seule et vite dans la nuit noire d’une banlieue résidentielle. Sauf que la splendide photo (signée Agnès Godard) et surtout la chanson (de Killing Joke) annoncent déjà autre chose. Un film plus mélancolique que cynique, à mi-chemin entre cinéma de genre hollywoodien et cinéma d’auteur de la fameuse collection Arte Tous les garçons et les filles de leur âge (1993-4).

La fille ne tarde pas à débarquer dans une typique fête de lycéens, pleine de flirts et d’embrouilles comiques, sauf qu’on y parle déjà de la disparition depuis quelques jours de l’un d’eux: Simon Werner. Et lorsqu’un corps est retrouvé un peu plus tard en forêt, le film remet les compteurs à zéro, une dizaine de jours plus tôt. Il le fera même quatre fois, pour suivre un membre différent du même groupe: le sportif Jérémie, la belle Alice, le solitaire Rabier et, pour finir, Simon lui-même. Lorsque ce dernier manque à l’appel au lycée Léon Blum, en banlieue parisienne, ses camarades envisagent toutes les hypothèses: fugue, enlèvement, suicide? Quelques jours plus tard, c’est Laetitia, une élève de la même classe, qui est notée absente sans que ses parents sachent où elle est. Epidémie? Serial killer? Intox?

Le mystère s’épaissit et bientôt, on fait attention au moindre détail, espérant démasquer le coupable comme dans n’importe quel «whodunit». Au lycée, les rumeurs vont bon train: non seulement qui est sorti avec qui, mais tel prof qui paraît suspect, à moins que la maison près des bois n’abrite un pédophile… En fait, c’est tout l’intérêt du film que de décrire le lycée comme lieu de tant de fictions possibles, où l’imaginaire s’emballe, comme pour contrer la banalité du décor et de la vie. Ajoutez une discrète touche «d’époque» (1992 écrit sur un tableau noir, pas de portable ni d’Internet en vue) et une belle b.o. rock signée Sonic Youth (rien que ça!), et vous tenez un objet bien plus original qu’il n’y paraît.

Quant à la narration éclatée, selon une stratégie de doute plus proche de Rashomon d’Akira Kurosawa ou d’Elephant de Gus Van Sant que des petits jeux à la Quentin Tarantino, elle confirme une volonté d’aller à l’encontre des clichés. Le sportif avance ainsi en béquilles, la «bimbo» du lycée (Ana Girardot, fille d’Hippolyte) s’avère plus maligne que prévu, la fille maghrébine et le garçon décalé deviennent intimes, etc. Et lorsque deux points de vue se raccordent soudain, cela fait son petit effet, qui réaffirme une irréductible complexité.

Certains, à Cannes, ont jugé le dénouement décevant, alors qu’en réalité il est parfaitement au diapason: la fin des fictions marque l’entrée dans le monde adulte. Pour une fois qu’on voit un film «pour ados» intelligent sur nos écrans, on aurait tort de bouder son plaisir. Et puissent les intéressés le voir eux aussi!

VV Simon Werner a disparu..., de Fabrice Gobert (France 2010),
avec Jules Pelissier, Ana Girardot,
Arthur Mazet, Laurent Delbecque, Selma El Mouissi, Audrey Bastien, Serge Riaboukine. 1h24.