J'ai lu cela dans Le Monde il y a deux jours...
J'aime bien l'expression "irresponsabilité moralisante"... et la conclusion.
- Comment choisir ?, par Paul Thibaud
Parmi les raisons de se réjouir du premier tour de l'élection présidentielle (abstention basse, Jean-Marie Le Pen en recul, déconfiture des extrêmes gauches), la principale est sans doute de trouver en tête deux candidats dont on aurait pu craindre qu'ils ne soient victimes d'un réflexe d'exclusion (tout sauf...) qui est un des cancers de la politique française, parce qu'il enveloppe une irresponsabilité moralisante.
Ces candidats, et aussi le troisième, ont dû, pour arriver sur l'estrade, jouer des coudes, s'imposer à ceux qui croyaient pouvoir contrôler le choix des candidatures. Le réflexe de sortir les sortants s'est trouvé ainsi désamorcé : les sortants (ou leurs poulains) avaient déjà été évincés.
Mais que les relativement nouveaux aient été écoutés avec espoir et intérêt, cela révèle plus qu'un ajustement à l'offre politique : un désir de rompre avec les comportements qui ont conduit à l'actuel sentiment de désarroi et de déclin, d'en finir avec une gouvernance illisible, au coup par coup selon les occasions, les "urgences" médiatiques... à la demande. Le désaveu subi avant le vote par les principales machines politiques a permis que l'insatisfaction ne s'exprime pas par un vote protestataire mais par un vote de choix, une distribution d'encouragements. Message sorti des urnes adressé à toute la classe politique : nous sommes responsables, soyez-le aussi ! Quelles seront les réponses ?
En sélectionnant les candidats socialistes et UMP, les électeurs ont paru exprimer l'opinion que ceux-ci avaient engagé, du moins indiqué, la clarification attendue : rupture, d'un côté, avec un socialisme platonique, d'intention, et de l'autre, avec un opportunisme habillé de bonnes intentions. Mais le succès du troisième homme semble montrer aussi que l'espérance hésite.
On mesure les encouragements parce qu'il y a encore bien des efforts à faire pour aboutir à une recomposition et à une rationalisation du système politique, on place le bloc centriste en pierre d'attente pour la poursuite du chantier.
A droite, il y a eu clairement une réaffirmation identitaire à l'opposé de la pratique floue de Jacques Chirac. Cela a eu l'effet d'une provocation, suscitant polémiques et suspicions. Cela n'a pas empêché, au contraire, Nicolas Sarkozy de mobiliser les siens, mais cela l'expose maintenant au danger de ne guère mobiliser au-delà d'une droite libérée de sa frustration. Ses efforts de désenclavement ont jusqu'à présent été surtout rhétoriques (Jean Jaurès, Guy Moquet...).
Montrer que la réaction antidémagogique qu'il incarne ne conduit pas nécessairement à un programme pour le CAC 40 et les grands patrimoines, c'est une tout autre affaire. La droite française n'a pas seulement à se réaffirmer mais à surmonter un déficit de légitimité qui est depuis longtemps son handicap foncier. On mesurera peut-être la difficulté dès le second tour, en tout cas à l'épreuve du pouvoir, s'il y a lieu.
A gauche, il ne s'agit pas de rappeler une identité, qui est plutôt figée qu'effacée, mais de lui redonner une forme convaincante. L'entrée en campagne de Ségolène Royal a été marquée par la distance prise avec les facilités et les complaisances de la "gauche culturelle", dans le domaine crucial de l'éducation en particulier. Mais par la suite, la candidate n'a fait que prolonger une politique sociale à bout de course, distribuant des promesses de consolations et de compensations aux catégories plaignantes.
Tout se passe comme si bloqué dans le Parti socialiste, le recentrage moral et politique indiqué par Ségolène Royal avait trouvé un écho à l'extérieur, provoquant le gonflement et le gauchissement d'un centre qui, sans perspective de gouverner, incarne une attente plutôt qu'un choix. L'effort à faire pour sortir la gauche du mélange de passion et de confusion que coagule l'anti-sarkozysme est au moins aussi grand que celui que la droite doit faire pour sortir de ses bases. Dans l'un et l'autre cas, on attend des éléments de programme qui puissent convaincre.
La recomposition esquissée de la politique française est incarnée par deux personnalités atypiques et inquiétantes, dont le mérite le plus évident est leur ténacité, mais qui présentent peu de garanties quant à la compétence et à la solidité des convictions. Plus d'un électeur se demande comment on peut choisir entre une icône et un histrion. Mais si nous en sommes là , c'est à cause d'une culture de l'esquive, du cache-cache, des astuces, des trouvailles où depuis vingt ans se sont enfoncés ensemble dirigeants et dirigés, esquivant chacun de son côté les disciplines de la démocratie représentative.
Pour rompre avec cela, il faut choisir non selon nos habitudes mais selon notre raison. Voter, c'est se compromettre.