Télérama a écrit :De "Chapeau melon et Bottes de cuir" au récent "Sex and the city", Hollywood, jaloux du succès indéniable des séries télé, multiplie les adaptations de nos feuilletons préférés. Sauf qu’être un peu olé olé au cinéma c’est pas simple, sans compter que réussir à tisser en deux heures un lien intime avec des héros que l’on fréquente parfois depuis des années, c’est un peu mission impossible. Zapping sur quelques réussites et… pas mal de ratages, classés par famille.
Ces dernières années, le complexe de supériorité du cinéma par rapport à la télévision s'est sérieusement érodé avec le colossal succès (critique et public) de séries télé américaines dont on n'arrête pas, y compris à Télérama, de vous vanter les mérites. Du coup, alerté (et stimulé) par ce foyer de créativité et d'impertinence, Hollywood ravale sa morgue et tente d'attraper le train en marche en multipliant les adaptations. Avec plus ou moins de bonheur. La semaine dernière, c'était au tour de Carrie et ses copines new-yorkaises de Sex and the city de passer du petit au grand écran. Elles devraient être bientôt rejointes par un détective moustachu en chemise hawaïenne (Magnum), un grand Black avec une coupe iroquoise et des kilos d'or autour du cou (L'Agence tous risques), des flics de Los Angeles à peine pubères (21 Jump Street), un as du désarmorçage de bombes islamistes (24 Heures chrono) et une famille de pétroliers texans et alcooliques (Dallas, l'Arlésienne des adaptations).
Transposer une série télévisée au cinéma n'a pourtant rien d'évident. Le premier écueil auquel se heurtent les scénaristes tient au rythme. L'intérêt d'une série réside essentiellement dans le dévoilement progressif d'une intrigue addictive, et dans la relation d'intimité qui s'instaure entre les personnages et le spectateur au fil des épisodes. Sans parler du délicieux plaisir né de l'attente imposée par le feuilletonage. Il y a donc un vrai paradoxe à vouloir restituer dans un film de deux heures ce que la télévision aura mis des semaines, des mois, parfois des années, à tisser. D'où un sentiment général de méfiance de la part du fan à l'égard de toute tentative d'adaptation de « sa » série sur grand écran.
Généralement produites et diffusées sur des chaînes à péage du câble américain (HBO, Showtime), les séries américaines les plus audacieuses s'adressent à un public adulte et « consentant ». Les auteurs saisissent cette chance pour innover et proposer des narrations éclatées, des scènes et des dialogues à la violence (Rome) ou à la crudité (Californication) impossibles sur les chaînes grand public. De fait, en passant de la confidentialité du câble à l'audience des grands networks internationaux, les séries sont souvent édulcorées, voire carrément censurées. C'est le cas par exemple de Dr House et de 24 Heures chrono, dont les versions diffusées par TF1 ont été expurgées de leur contenu trop violent ou politiquement (trop) incorrect. Lors du passage de la télé au cinéma, l'autocensure est à nouveau de mise, et les fans de la première heure ne peuvent souvent s'empêcher de crier à la trahison. Peut-on échapper à si triste destin ? Nous avons essayé de répondre en classant les adaptations de séries télé en six familles, inventaire des possibles où l'on croisera quelques fameux ratages... mais aussi d'incontestables réussites.
Le superépisode
Sex and the city, le film, de Michael Patrick King (2008)
La série est encore diffusée ou vient à peine de s'achever à la télévision, le casting d'origine est au complet, scénaristes et réalisateur rempilent pour un superépisode sur grand écran en guise de postface ou de respiration « hors les murs ». Rien de plus simple : on reprend l'intrigue et les personnages où on les avait laissés, on invente de nouvelles péripéties, on zappe quelques dialogues trop olé olé qui feront mauvais effet en prime time (pas d'allusion à la masturbation dans Sex and the city, le film)... et on passe à la caisse. Plutôt convaincant, non ?
Dans la même famille : X Files, Combattre le futur, de Rob Bowman (1998), Mr Bean, de Mel Smith (1997).
L’autoremake
Miami Vice, de Michael Mann (2006)
Privilège réservé aux grands auteurs. A la façon d'un Hitchcock qui se paie le luxe de refaire L'homme qui en savait trop quinze ans après, Michael Mann, créateur et producteur de Deux Flics à Miami, la série bling bling des années 80, prouve qu'il n'a pas perdu la main, loin de là, en réalisant un autoremake encore plus sophistiqué que son modèle. Recette imparable : Mann reprend, en les modernisant, les codes visuels et musicaux de sa série (couleurs pastel, ralentis, surimpressions, longs travellings en hélicoptère, BO tonitruante) qui, en passant ainsi du petit au grand écran, (re) gagne épaisseur et prestige.
Dans la même famille : Fire walk with me, de David Lynch (1992).
La transposition
Le Fugitif, d'Andrew Davis (1993)
Capter l'atmosphère de la série originelle, simplifier, le cas échéant, en supprimant des personnages secondaires, aménager, mais avec fidélité : voilà les clés d'une transposition réussie. Comme dans Le Fugitif, où Harrison Ford reprend le rôle du Dr Kimble, faux coupable hitchcockien accusé du meurtre de sa femme, dont la vie se résume dés lors à une interminable course-poursuite. Le film est autonome, et l'hommage, tellement discret, qu'il est inutile d'avoir vu, ni même de connaître, le feuilleton créé par Roy Huggins (cent vingt épisodes diffusés entre 1963 et 1967). On dit bravo.
Dans la même famille : Maverick, de Richard Donner (1994), Les Brigades du Tigre, de Jérôme Cornau (2006), La Famille Addams, de Barry Sonnenfeld (1992), Les Incorruptibles, de Brian De Palma (1987).
La trahison pure et simple
Chapeau melon et Bottes de cuir, de Jeremiah Chechik (1998)
La trahison est une modernisation qui a mal tourné. Il ne reste plus rien du modèle d'origine, à part les personnages. L'esprit et la lettre, eux, sont allégrement trahis. La faute à un scénario consensuel censé plaire aux spectateurs de 7 à 77 ans. C'est le cas de l'adaptation plan-plan de Chapeau melon et Bottes de cuir, qui multiplie les anachronismes, évacue le marivaudage et la satire de l'Angleterre des sixties. Tout le charme so british de la série brille par son absence dans ce remake désincarné, où même la distribution manque de piquant.
Dans la même famille : Les Mystères de l'Ouest, de Barry Sonnenfeld (1999), Absolument Fabuleux, de Gabriel Aghion (2001).
La modernisation
Mission : Impossible 2, de John Woo (2000)
La catégorie reine, et la plus casse-gueule. Décliner une marque, surfer sur son aura, récupérer les personnages, les remettre au goût du jour ! Telle est la tentation suprême. Quitte à mépriser la concordance des temps. Ceux qui réussissent leur coup s'appuient sur leur style : ainsi John Woo dans le deuxième volet de Mission : Impossible. La trilogie (bientôt tétralogie) prend même le contre-pied de la fameuse série de Bruce Geller en faisant de Tom Cruise un héros pratiquement solitaire, à la manière de James Bond. Exit l'esprit d'équipe, la précision d'horlogerie du scénario, le syndrome du complot, les messages sur bande qui partent vite en fumée. Place au « véhicule » pour star, aux poursuites en voiture, aux duels chorégraphiés et aux envols de colombes. Malheureusement, tout le monde n'est pas John Woo...
Dans la même famille : Le Masque de Zorro, de Martin Campbell (1998), Belphégor, de Jean-Paul Salomé (2001), Vidocq, de Pitof (2001), Ma sorcière bien-aimée, de Nora Ephron (2005), Drôles de dames 1 et 2, de McG (2000 et 2003).
La parodie
Starsky et Hutch, de Todd Phillips (2004)
Peu d'exemples dans cette famille monoparentale, qui pousse l'adaptation sur les terres instables de la comédie. Jusqu'à risquer le contresens. Dans sa version originale (1975-1979), Starsky et Hutch est une série policière très noire et violente dénuée de toute forme d'humour. Le doublage français (par Jacques Balutin et Francis Lax) édulcore les dialogues et apporte une touche de franchouillardise décalée. Le film de Todd Phillips fait aussi l'impasse sur la gravité de son modèle et exploite le filon nostalgique seventies avec un duo de quasi clowns (Ben Stiller et Owen Wilson). Dommage.
Dans la même famille : Shérif fais-moi peur, de Jay Chandrasekhar (2005).
Jérémie Couston